mercredi 12 février 2020

Lire en français en écoutant de la musique francophone

Hier soir, à la librairie de mon quartier, en compagnie de mon amie Joséphine. Une musique francophone de style grunge et corrosif sortait des hauts-parleurs de l'établissement. À cause de ses paroles en français, celle-ci empêchait de bouquiner, interférant avec le texte français des livres. Deux libraires se tenaient près du comptoir. M'avançant près d'eux :
— Je vous aime tous les deux, j'aime cet endroit, vous le savez, vous m'y voyez souvent. Seulement, il est impossible de bouquiner quand il y a de la musique francophone.
L'un des libraires répondit :
— Bouquiner, mais pas lire!
— Mais bouquiner veut dire lire!
— Mais non!
— Mais si, regardez dans le dictionnaire!
Le second libraire, sur la défensive, souffla : « Y'a juste un problème, c'est qu'on est ici depuis ce matin » Je comprends la fatigue, bien que je trouve un peu étrange de mettre ça sur son dos. Pourquoi ne pas plutôt revendiquer ses goûts musicaux : « C'est une musique qu'on adore. » Souligner la fatigue, cela veut-il dire qu'après un certain nombre d'heures à besogner, l'assiduité et l'amour du travail sont autorisés à diminuer? Du coup, j'ai compris que ma déclamation avait été prise pour une attaque. Avec calme, je lançai aux jeunes hommes : « Avez-vous déjà acheté des partitions dans un magasin de musique? Quand on « bouquine » une partition, il ne doit pas y avoir de musique, cela crée une interférence entre le texte de la partition et la musique qu'on entend. C'est la même chose lorsqu'on achète des livres : on ne peut lire un livre en français si l'on entend les chansons d'Aznavour autour de soi. »

Sans dire un mot, ils ont gentiment changé la musique. Et je leur en remercie.

J'écris tout ceci un peu pour demander pardon (à moi-même). Pardon d'être exigeant, de vouloir constamment créer l'expérience la plus enthousiasmante, la plus claire, la plus passionnée. Pardon à moi-même de vouloir faire de chaque rencontre, de chaque geste, de chaque réflexion une oeuvre d'art. Mais plus que tout, je veux dire MERCI. Merci de m'avoir fait sensible, entêté, et parfois acharné. Merci de me donner la force et l'amour de vivre la vie de façon immédiate. Merci de faire de moi un être de plus en plus libre, de plus en plus affranchi des choses insidieuses qui vous font reculer. 

En sortant de la librairie (avec, en main Papiers collés 3 de Georges Perros, et les Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir pour Joséphine), j'ai salué les deux jeunes hommes. En regagnant la voiture avec mon amie, je reconnaissais que notre hiver québécois est certainement le plus beau, et qu'il est une grande chance que l'on puisse se procurer d'aussi bons livres à quelques pas de chez soi.

2 commentaires:

claude a dit...

Tu n'as pas à t'excuser ;o) Moi, je suis comme toi, et je trouve cela très bien, haha. J'aime beaucoup la série des papiers collés, si je m'en souviens bien il y en a 3. Perros a une grande place dans ma bibliothèque. à bientôt, Claude

Claudio Pinto a dit...

Dans Comme un roman, Daniel Pennac consacre un chapitre à Perros; et c'est peut-être l'un des plus beaux chapitres du livre.