dimanche 23 décembre 2018

Blanchot envers le lecteur de Kafka


En écrivant ses billets, le blogueur rédige avec le sentiment qu'il sera lu promptement. Ce sentiment — agréable, avouons-le — est parfois accompagné d'une impudence qui lui  permet d'éviter les billets convenus qui ne  « dérangent » personne. Je hasarde une explication : les meilleurs textes seraient-ils ceux qui ne sont pas destinés au lecteur? Sinon à qui? Écrire pour être lu, c'est déjà s'y prendre de la mauvaise manière, je pense. 

C'est ce qu'explicite Maurice Blanchot dans De Kafka à Kafka : «  Car le lecteur ne veut pas d'une oeuvre écrite pour lui, il veut justement une oeuvre étrangère où il découvre quelque chose d'inconnu, une réalité différente, un esprit séparé qui puisse le transformer et qu'il puisse transformer en soi. L'auteur qui écrit précisément pour un public, à la vérité, n'écrit pas : c'est ce public qui écrit et, pour cette raison, ce public ne peut plus être lecteur [...]. De là, l'insignifiance des oeuvres faites pour être lues, personne ne les lit. » 


Mes plongées dans le bathyscaphe Blanchot m'amènent à une solitude proche de la mélancolie; une mélancolie sans nostalgie et néanmoins inquiétante en ce qu'elle reconnait que notre pensée va bringuebalant entre le connu (si parcimonieux) et l'inconnu (pléthorique). J'ose une analogie vers la musique : plus près de Schumann que de Chopin, la mélancolie de Blanchot marcherait à côté du silence plutôt qu'avec lui, d'où sa lucidité s'élevant jusqu'au désastre et la lumière.         



Cette semaine, je m'entretenais avec le poète Bertrand Laverdure, à qui je déclarais que je déteste le bruit et l'attention, que ma désaffection pour eux me convainquait, en 2010, de cesser de me produire sur scène. Les applaudissements du public faisant office de récompense, celle-ci m'amputait de l'énergie nécessaire à la création de nouveaux chemins, de nouvelles oeuvres. « Je ne suis pas un showman, lui soufflai-je, je préfère travailler seul, dans l'ombre, comme un moine ». Mon attention vers le public m'a toujours engagé à lui donner de quoi rire et pleurer, ou si l'on veut à reformer mon âme selon ses nécessités. Non, pas cela! — pas sur une scène en tous cas.






De Kafka à Kafka
Maurice Blanchot
ed. Folio (Gallimard) 

Aucun commentaire: