jeudi 16 mars 2023

Thelma & Louise, le meilleur road movie de tous les temps?

Je viens de terminer Thelma, Louise & moi de Martine Delvaux. À la fois récit intimiste et texte féministe,  l’auteure y livre ses entrailles, franchement, c'est-à-dire sans fard. On y apprend des choses sur le film; par exemple, que la scène du cycliste noir ne faisait pas partie du script original, l'idée serait apparue à la toute dernière minute, lorsque Ridley Scott, réalisateur du film, en se rendant au studio aperçoit un homme noir rasta sur la route, demandant aussitôt à son chauffeur de faire demi-tour. L’homme noir déniche alors son premier rôle au cinéma, dotant le film d'une scène magistrale, aujourd'hui d'une importance considérable sur le plan sociétal.  


Tant de belles choses dans ce petit livre, notamment lorsque  l'auteure souligne à quel point plus le film avance et plus Thelma et Louise se ressemblent, ce qui est absolument vrai. Quelques éléments m'ont agacé, notamment la façon dont Delvaux relève les difficultés qu'elle a rencontrées pendant l'écriture de son livre. Parce que cette difficulté est constitutive de la complexité du système d'écriture — et du métier d'écrivain —, tout auteur devrait, selon moi, s’abstenir d’en souligner l’ennui. Il est vrai qu'écrire peut rapidement mettre en relief ce qui fait mal. Ce mal, tout grand artiste le « cachera » aussi rapidement qu'il le dévoilera. À sa manière, le musicien, l'écrivain ou l’athlète, devrait pouvoir, lorsqu'il est au travail, se garder une petite gêne. 


Plusieurs passages du livre m’ont rappelé mon expérience du visionnement du film — en décembre dernier, j'en étais à mon troisième visionnement. Ces passages, pour la plupart, ont fait monter des larmes,  qui sont probablement celles que j'avais contenues pendant le film. 


Ce livre m'apprend que Thelma & Louise est le premier long métrage où deux actrices, têtes d’affiches du même film, ont été en nomination aux Oscars pour le même prix. Le film a été en nomination dans les catégories suivantes : Meilleur réalisateur, Meilleur actrice, Meilleure actrice, Meilleur montage, Meilleur photographie et Meilleur scénario, remportant une statuette dans cette dernière catégorie. 


*


Je n'oublierai jamais le choc ressenti la première fois que j'ai visionné Thelma & Louise. J'avais 19 ans, la fille que j'aimais, mon premier amour, venait de me larguer. Du jour au lendemain je perdais mon amour, puis mon emploi, ensuite mon appartement. Me retrouvant dans l'obligation de retourner vivre chez mes parents, pour me refaire une santé morale, je faisais de longues balades en voiture, jouais du piano et visionnais des films avec un appétit vorace. Les soirs de semaine, je me rendais au Superclub Vidéotron de Vimont et louais de trois à cinq films par semaine. À la section des nouveautés, trônait une demi-douzaine d'exemplaires VHS de Thelma & Louise, le plus récent de Ridley Scott. Il y a plusieurs semaines que sa pochette cartonnée montrant les deux héroïnes me faisait des clins d'oeil. Un soir, sans crier gare, je sortais du club vidéo avec un exemplaire de Thelma & Louise. Arrivé à la maison, j'attendais, comme d'habitude, que mes parents et ma petite sœur aillent se coucher, puis m'allongeais sur le divan du salon familial et appuyais sur play. 


Aux premières minutes du film, la certitude que ce road movie s'apparentait davantage à une expédition en bathyscaphe qu'à une escapade routière. Dans mon souvenir, l'action du film se déroulait très lentement, comme dans un rêve. Tout allait comme sur des roulettes dans mon coeur et dans ma tête, jusqu'à la scène du viol. Progressivement, je m'attachais aux deux héroïnes, pour la première fois depuis longtemps ma résistance à l’amour était mise à rude épreuve. Quelque chose en moi voulait ressusciter, mais mon orgueil et mon incapacité à me pardonner (de quoi, je l'ignore) s'y opposaient farouchement. D'une scène à l'autre, une phrase entre toutes martelait mon esprit  : « Je ne veux pas qu’elles meurent ». Contenir mes larmes me demandait un effort considérable,  je ne savais pas si je pourrais tenir encore longtemps. Mon seul espoir s'appellait Hal, le détective, incarné par Harvey Keitel. Tout a été dit sur le saut final en voiture, tout sauf son effet cathartique sur ma petite personne; il n'est pas exagéré de souligner que cette scène, bref le film tout entier, a reussi à purger d'un trait dix années d’émotions refoulées. Le générique défilait, Glenn Frey chante sur tonalité majeure une chanson d'amitié qui aurait fait plaisir à Montaigne, et c'est la fin. J'ai pleuré un bon deux heures, peut-être plus. Sans l'ombre d'un doute, la mort de Thelma et de Louise venait de me délivrer, leur mort à l'unisson symbolisant ma rédemption. 


Le lendemain, comme à chaque matin, je prenais la voiture en direction du café. Attablé près de la fenêtre, incapable d’ouvrir le journal,  je fis place au silence, qui est l'endroit idéal pour dire un vrai merci. Je n'avais qu'un souhait : plonger dans les profondeurs, me laisser bercer par elles, me blottir dans les bras de la vérité. Je le sentais puissamment que je n'étais plus le même homme, alors que, empli d’un nouveau courage, j'endossais ma nouvelle responsabilité, celle d'être un homme heureux. Environ trois mois plus tard, un nouveau boulot me permettait de signer un bail et d'emménager dans un appartement.  


Il m'aura fallu attendre un peu plus de vingt ans avant de revoir Thelma & Louise.         


À la question « Aimes-tu Thelma & Louise ? », je ne puis répondre par l’affirmative. Quand une œuvre d’art vous traverse à ce point, un simple Oui ne suffit pas. En réalité le problème n'est pas la réponse, mais la question. La bonne question à poser serait : « Est-ce un film nécessaire pour toi? » À cela je répondrai : ce  film m’est absolument nécessaire, comme l’amitié m’est absolument nécessaire, comme la musique m’est absolument nécessaire, comme les bons livres me sont absolument nécessaires. Je ne sais à quel point ce film m’a sauvé la vie, tout ce que je sais c’est qu’il a sauvé mon âme. C’est quand même pas si mal. 


Thelma, Louise & moi

Martine Delvaux

(Ed. Heliotrope)

240 pages


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