Il y a longtemps que j'ai publié un billet personnel. Je le fais ce matin, après que l'aube me rappelle qu'il n'est jamais trop tard pour faire voeu de bonnes augures.
Avant-hier, l'anniversaire de mon père. À 85 ans bien sonnants, mon père a tous ses cheveux, sa tête un peu moins. Depuis quelques mois, la vieillesse malmène sa mémoire. Il reste lucide, mais cette démence dont on connait le nom et que je n'ose pas nommer, parce qu'un fils aime à penser que son père, si unique, est inapte à ces maladies qu'affligent tant de gens. Mon père, que je reconnais avec ses failles, ses incohérences, sa mégalomanie, mon père qui a attendu trente ans avant de me dire je t'aime — par courriel —, à l'époque où mes études universitaires réclamaient toute mon obligeance et ma volonté. Durant ces années d'études, mon père revenait comme un amour inespéré.
En rétrospective, parce que nous sommes si différents lui et moi, je ne crois pas qu'il m'ait compris. En revanche, hier il me soufflait : « Mon affection pour toi est particulière ». C'était son anniversaire, il était incapable de se rappeler qui l'avait appelé. C'est peut-être mieux comme ça.
En rétrospective, parce que nous sommes si différents lui et moi, je ne crois pas qu'il m'ait compris. En revanche, hier il me soufflait : « Mon affection pour toi est particulière ». C'était son anniversaire, il était incapable de se rappeler qui l'avait appelé. C'est peut-être mieux comme ça.
(Je ne cherche pas à écrire un hommage ni à émouvoir. Je voulais commencer ma journée en écrivant un billet ici, dans ce blogue que je néglige au profit d'un autre, très différent de forme et de contenu (et qui est ici). En tapant les premiers mots, je ne savais pas que je parlerais de mon père.)
*
Avant-hier encore, ma colocataire Christina, avec qui nous avons passé dix mois, quittait le sol canadien pour retrouver sa terre helvétique, la Suisse. Vers la fin de son séjour, je lui intimais que j'aurais aimé lui parler davantage de musique. Elle m'écoutait comme une chambriste attentive au moindre son. De père argentin, Christina, à son arrivée à Montréal, avait reconnu la mélodie de Alfonsina y el mar, classique d'Ariel Ramirez que je joue régulièrement à la maison. Quelques jours plus tard, elle copiait de sa main les paroles de la chanson. L'écriture manuscrite est à la littérature ce que l'odeur est à la chair.
On ne connait une personne que lorsqu'on connait sa musique.
Mon commencement de l'été est tributaire du retour d'un étrange sentiment de honte. Honte de se raconter, de ne pas se raconter, de vivre en marge des êtres et des choses, de manquer de courage, d'hésiter à vivre, honte de mon besoin de solitude, honte d'aimer à ce point la nuit, lieu d'instances philosophiques et mémorial des jouissances de la dérobation.
J'ai passé les deux dernières semaines sans pouvoir me concentrer sur le travail intellectuel. En écope largement la lecture, que j'ai négligée au profit de rien, vraiment rien. Hier soir, après le départ de Christina, je m'appropriais sa chambre, plus éclairée, plus soyeuse, plus féminine que la mienne. Tout homme littéraire qui s'installe dans un nouvel espace de travail et de repos aura une pensée pour Virginia Woolf.
Hier, pour la première fois en plusieurs semaines, je retrouvais la lecture, sacro-sainte lecture. Merci la vie.
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