dimanche 19 février 2023

Rainer Maria Rilke à Lou Andreas-Salome

Il y a quelques années, j'achetais un exemplaire des Lettres à un jeune poète de Rilke, avec l'intention de les offrir à la femme que je fréquentais alors. Quelques jours plus tard, elle et moi rompions abruptement, sans que j'aie pu lui offrir le livre. 
J'ai  pensé le lui envoyer par la poste ou le déposer dans sa boîte aux lettres, mais quelque chose, une part inconnue de moi-même, faisait obstacle à ce geste. Les lettres de Rilke à Kappus sont une lecture de chevet de premier plan  pour moi. Depuis ma première lecture de ce classique, il y a presque 30 ans, il ne passe pas six mois sans que je les relise. C'était la première fois que je mettais la main sur cette édition de ce classique (voir photo). Celle-ci, avec son avant-propos et ses lettres complémentaires en fin de volume, m'intriguait. Sans crier gare, j'ouvris le livreComme un plongeon dans une mare profonde, j'y découvris les réflexions de Claude Porcell, traducteur de l'ouvrage et auteur de l'avant-propos, dont voici quelques extraits :

Si la solitude est nécessaire, c'est que rien ne peut venir que du fond de soi. 


Car ce que l'on porte de toute manière au fond de soi lorsqu'on a tout dépouillé, qu'on a atteint la pauvreté suprême, le centre à partir duquel, dans l'art, une éternité est possible, c'est en fin de compte son passé, son enfance. 



N'avons-vous pas l'impression que ces phrases (spécialement la première) sont du Rilke tout craché?

Ou encore,

Ces Lettres à un jeune poète répondent moins, en somme, à la question Qu'est-ce que l'art? qu'à la question Qu'est-ce que l'artiste? Ce dont il s'agit avant tout, c'est un choix de vie, le choix de l'impossible. C'est « par impossible » que peut se produire la « réussite ». Dans sa sincérité, Rilke n'est pas très tendre avec Kappus, même s'il recopie aimablement l'un de ses poèmes... pour le lui renvoyer. Quand tout est donné, il reste une différence : si le génie ne s'incarne que « par impossible » dans la réalité, qu'en sera-t-il du simple talent, du petit talent, ou de l'absence de talent? La seule vraie question est posée dès la première des Lettres à un jeune poète : « Explorez le fond qui vous enjoint d'écrire; vérifiez s'il étend ses racines jusqu'à l'endroit le plus profond de votre coeur, répondez franchement à la question de savoir si, dans le cas où il vous serait refusé d'écrire, il vous faudrait mourir. »

Rilke dit-il finalement autre chose que Proust, Marguerite Duras ou Thomas Bernhard?

 
*

En fin de volume, des lettres de Rilke à Lou Andreas-Salomé et à Friedrich Westhoff. Laissez-moi vous partager celle-ci, car elle tombe à point en ces temps difficiles : 

  
Lettre à Friedrich Westhoff, Rome, 29 avril 1904 [Rilke a 29 ans]

Car, Friedrich, crois-moi, plus on est soi-même, plus tout ce que l'on vit est riche.
[...]
Il ne faut jamais désespérer lorsqu'on perd quelque chose, un être, une joie ou un bonheur; tout reviendra, plus magnifique encore. Ce qui doit tomber tombe; ce qui nous appartient vraiment nous reste, car tout se produit selon des lois qui dépassent notre sagacité et avec lesquelles nous ne sommes qu'apparemment en contradiction. Il faut vivre en soi-même et penser à la totalité de la vie, à tous les millions de possibilités, d'immensités et d'avenirs qu'elle contient, face auxquels il n'y a rien de passé ni de perdu.  (lettre signée Rainer et Clara Westhoff, sa femme)

Rasséréné, j'ai lu d'un trait toutes ces lettres. J'ai compris alors pourquoi il m'était si important de conserver ce livre

Quelques semaines plus tard, l'ex et moi prenions un café ensemble, en toute amitié. Je n'ai pas eu le courage de lui donner le livre.

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