Peu de musiciens aujourd'hui peuvent être considérés comme l'incarnation d'une sorte « vérité française » musicale. De ces rares élus, le pianiste Jean-Philippe Collard fait partie. Actuellement artiste en résidence à l'OSM, le pianiste donnait ses deux concerts à la Maison symphonique de Montréal la semaine dernière — l'un avec orchestre, l'autre en récital. Le premier figurait Concerto pour piano en sol de Ravel et Oiseaux exotiques de Messiaen, le second (auquel j'ai eu le privilège d'assister) des oeuvres de Fauré et de Chopin, deux effigies de la musique pour piano... et de la France; on sait que Chopin, qui naquit en Pologne, immigra à Paris à l'âge de 20 ans, où il mourut en 1849.
Le jeu de Jean-Philippe Collard trahit une expressivité d'une sobriété de gentleman. Assis loin du piano, il touche l'instrument avec cette finesse qu'ont les hommes minces, lesquels soucieux de menus détails éprouvent plus profondément les choses. Dans Fauré, il resplendit une amplitude sonore sans tapage, à la façon des premières eaux ruisselantes à l'aube. Doté d'un pianisme naturel rare, il adjoint à la respiration musicale un sens de la nuance qui est l'apanage de quelques grands maîtres : Artur Rubinstein, Radu Lupu, Shura Cherkassky.
Aux premières mesures du Nocturne no 4 op 36 de Fauré (qui ouvrait le concert), on sent que le pianiste, loin de toute consensualité, s'adresse aux oreilles et aux coeurs les plus avertis. Dans sa version pour piano seul, la Ballade op. 19, pièce d'une quinzaine de minutes à l'étoffe d'un immense nocturne, non seulement démontrait l'habileté de Collard à raconter une histoire, mais aussi donnait l'impression que des cordes, parfois frottées, parfois pincées, emplissaient la pâte sonore.
Une carrière de plus de 50 ans, avec plus de 50 disques à son actif, témoigne du métier d'un musicien dont la présence sur scène a quelque chose d'inoubliable. Grand de taille et filiforme, il se lève aux applaudissements, marche sur la scène d'un pas délicieusement farouche scène, salue la foule, lui sourit, avec une main dans la poche de son veston boutonné. De le voir déambuler avec autant de finesse ajoute à l'enchantement. De ces gestes se dégage une désinvolture poétique, où la question de l'élégance suggère une énigme dont la réponse ne se trouvera pas dans la musique, mais dans la vie.
Le Nocturne no 1 de Fauré, interprété par J.-P. Collard
Après l'entracte, les deux morceaux les plus virtuoses du concert, soit la Sonate no 2 en si bémol mineur op. 35 et la Ballade no 4 en fa mineur op. 52 de Chopin. La Ballade no 4 paraissait sous ses doigts comme un morceau plus facile qu'il ne l'est en réalité, alors que le pianiste en délivrait la légende et le foisonnement ancestral. Néanmoins, et j'avance ici subjectivement, c'est à la Sonate op. 35 que revient la palme du moment le plus éblouissant du concert. De cette oeuvre, Collard a su tirer l'acier le plus pur et le coton le plus riche. Le deuxième mouvement marqué Scherzo, avec sa partie médiane marquée più lento, restera pour moi inoubliable. Et le célèbre troisième mouvement Marche funèbre nous aspirait en une extase lente et vigoureuse. Enfin, l'étrange et venteux dernier mouvement, dont Schumann écrivait qu'il « n'est pas de la musique », concluait un concert qui m'habite encore cinq jours après y avoir assisté. En rappel, le pianiste français interprétait la crépusculaire Mazurka en la mineur op. 17 no 4 de Chopin.
Jean-Philippe Collard à la Maison symphonique
1er mai 2019
Fauré (1845-1924)
Nocturne no 3 en mi bémol majeur op. 36
Impromptu no 2 en fa mineur op. 31
Nocturne no 6 en ré bémol majeur op. 63
Ballade op. 19
Nocturne no 13 en si mineur
Chopin (1810-1849)
Sonate no 2 en si bémol mineur op. 35
Ballade no 4 en fa mineur op. 52
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