lundi 13 juin 2016

Massacre en litige

Conserverons-nous notre intégrité féroce en ces temps de massacre? Voici ce que je viens d'écrire sur ma page Facebook. 

Je peux difficilement croire que vous avez passé une journée magnifique hier, jour de carnage en nos pays. La mienne fut hypothéquée par la douleur de nos voisins, laquelle devint rapidement la mienne. Et c'est tant mieux, parce que le contraire m'aurait révulsé. Paix à toute la gang de beau monde partout. 


J'ai passablement réfléchi avant de publier cette notice, entre autres parce que je ne suis pas du type à m'exposer sur les réseaux sociaux (comme bien des musiciens, je prêche d'emblée le silence), mais aussi parce que j'étais moralement incapable de le faire, encore trop remué par le massacre d'Orlando. Des gens que j'ai croisés hier, aucun n'a fait mention de la tragédie. Et pourtant, celle-ci s'est belle et bien produite chez nos voisins! Aurait-il fallu que le carnage se produise à Saint-Lambert pour qu'on en parle? Je n'étais pas d'une sale humeur hier, plutôt éprouvé, marqué d'une indolence fragile qui trahissait un désenchantement soudain. Heureusement, il me consolait de savoir que ces désenchantements n'arrivent qu'à ceux qui aiment la vie. Hélas, l'amour, on le sait bien, ne suffit pas. 

Aimer la vie. 

Dans les années 70, quelques années avant sa mort, le pianiste Artur Rubinstein (il nous a quitté en 1982, à l'âge de 95 ans) déclarait en entrevue : « Vous me demandez si à mon âge, j'aime encore la vie. Bien sûr que j'aime la vie! Qu'est-ce que cela veut dire, aimer la vie? Cela veut dire : prendre la vie telle qu'elle est. » Il suffisait de ces quelques mots pour voir ma perception des choses changer. Les grands artistes de ce monde prolifèrent en pensées sidérantes qui parfois se transmettent mieux par le biais d'un autre moyen que leur art, parce qu'il nous manque les oreilles, les yeux, l'intelligence pour les comprendre. 

Au lendemain du massacre, je ne vois plus le mot Orlando de la même manière. Hier, il évoquait pour moi le très beau roman de Virginia Woolf. Aujourd'hui, il symbolise les hostilités puériles d'un monde qui n'a pas fini de vouloir encore plus d'amour, mais qui n'a pas trouvé les mots, la manière et le ton pour le dire. 

Paix. Paix. Et Amour.


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