mardi 30 janvier 2018

David McNeil et son plus récent roman


Bien que son nom sonne très anglo, l'auteur-compositeur-interprète David McNeil est tout ce qu'il y a de plus francophone. Fils de Chagall, habitant à Paris, McNeil, en plus de publier des romans, a écrit des chansons pour bon nombre d'interprètes. Son dernier livre, Un vautour au pied du lit, paru récemment chez Gallimard, collection « Blanches », raconte son séjour à l'hôpital (je n'en dis pas plus). 


Dès les premières pages, le souffle saisit, grâce à une écriture qui reconnait parfaitement l'usage musical du point et de la virgule. Entre les paragraphes, j'extrais ce passage, si beau, dans lequel je me suis profondément reconnu.


Je déteste, je l'ai dit, être confiné. Si parfois j'ai besoin d'être seul pour écrire, dessiner ou jouer de la guitare, j'aime savoir qu'à tout moment je peux mettre un manteau, un foulard, un chapeau, et sortir dans la rue, trouver un café ou un bar ouvert, voir des gens, même bizarres, mais parfois on aime bien voir des gens bizarres, ceux qu'on ne rencontre que tard la nuit dans les cafés et les bars, ces gens qui tous ont une histoire, quand on n'a pas une histoire on ne traîne pas la nuit. Là, si on est disponible, on croise toutes sortes de personnages, des gens souvent touchants, des poètes, des escrocs, des bavards, des taiseux, comme de faux taciturnes qui cachent leur bêtise sous un silence habile, mais la nuit, on accepte toutes les impostures, tous les barons déchus, les marquises de nulle part, mais de zinc en zinc, de comptoir en comptoir, même sans se parler, on sait qu'on fait partie de la même famille, comme Blondin, comme Prévert, Nougaro ou Bohringer, cette famille d'aristocrates titubants, qui sont les princes de la nuit de toutes les villes du monde. (p. 25)


mardi 9 janvier 2018

Les incantations de Phototaxie, d'Olivia Tapiero

En 2017, Olivia Tapiero, jeune écrivaine de 26 ans, publiait Phototaxie, son troisième roman, paru chez Mémoire d'encrier. Son premier, Les Murs (VLB Éditeur), publié en 2009, remportait le prix Robert-Cliche du premier roman. Son deuxième, Espaces (XYZ) continuait de gagner des lecteurs, grâce à une écriture à la fois lisse et exigeante.   

Phototaxie est probablement le moins sombre des romans de Tapiero,  celui qui révèle les préoccupations les plus tenantes de l'écrivaine, à savoir le jeu sensible des relations humaines, la poésie, le langage. Toutefois, l'une des figures les plus importantes est la musique, notamment incarnée en  Théo, musicien désabusé dont la beauté tragique apparait comme un accord symphonique brahmsien. Zev et Narr sont les autres protagonistes de ce roman à la construction solide et aboutie. 

Malgré son opacité, Phototaxie est le roman du tout est possible, de la résilience, mais aussi de l'amitié, mot vague qui inclut la rencontre et sa vérité crue, son impudeur conquise, son affection insoluble. Au fil des pages, on devine l'influence de voix littéraires souveraines, notamment Thomas Bernhardt, Dostoïevski et les philosophes.

Je crois qu'un grand roman ne cherche pas à raconter une histoire mais toutes les histoires, un tel roman préfigure un climat où les tensions, les silences, l'architecture témoignent d'une quête poétique du dialogue intérieur, lieu de jonction sensible entre la vie et la mort, le silence et le bruit, l'avoisinant et le lointain. Le troisième roman d'Olivia Tapiero pourrait être de cette eau. 

Phototaxie m'a donné l'envie de replonger dans les autres livres de l'auteure, ceux-ci suivent une évolution progressive du discours, entériné par une écriture maîtrisée d'une sincérité sans âge. 

Je ne vous le cacherai pas, Phototaxie est ma révélation littéraire québécoise de 2017.       

      

lundi 8 janvier 2018

Aphélie de Mikella Nicol

J'avais rencontré l'auteure au Salon du livre de l'Estrie, il y a quelques semaines. Notre conversation m'avait convaincu d'acheter Aphélie, son deuxième roman, publié aux éditions Cheval d'août.   

L'histoire se déroule dans un appartement, un centre d'appel et un bar, où l'héroïne passe chaque vendredi soir en compagnie de son meilleur ami. Les personnages — peu nombreux — vivent en périphérie dans un monde où la crise identitaire, l'ambivalence sexuelle et une certaine désillusion existentielle ravivent un quotidien en apparence sans histoire. La trame est d'un gris clair, avec de rares apparitions d'un bleu sombre. S'il n'y a pas réellement d'intrigue, l'histoire suit son cours avec une langueur qui se laisse savourer. L'écriture, simple, limpide, dénuée d'apprêt philosophique, parvient à faire fi de toute recherche stylistique. On entre dans un univers où la jeunesse n'a pas encore trouvé tous ses mots/maux pour se raconter, où l'amour se donne plus facilement qu'il se prend, où le silence est espéré aux confins de la fragilité d'être. 

Pas de musique, ni de livres, mais des rencontres, le goût de s'évader, de voyager. Aphélie emplit de chaleur le lecteur, comme un accompagnement sensible, comme une oreille attentive.