lundi 12 décembre 2016

La musique est un cadeau

Hier, 11 décembre, jour de mon anniversaire, la neige en rafale continue d'embellir notre hiver québécois. Reconnaissons-le, si la neige est un baume, c'est qu'elle est frivole!

Il me semble, depuis quelques jours, qu'entre la musique et moi les échanges se font presque fusionnels. De fait, Mozart, Chopin, Bach me visitent chaque jour. C'est ainsi que sans crier gare, les sources du classique reviennent, comme reviennent les poèmes de notre enfance. Tout récemment je confiais à Frédérique, ma colocataire, que jamais de ma vie je ne m'étais jamais senti aussi profondément pianiste et musicien (car ce sont là deux choses bien différentes), et je précisais, entre deux gorgées de thé, que toute chose vécue pleinement de l'intérieur se reflète dans notre état physique, qu'elle soit visible à l'oeil ou pas. Au reste, j'ose croire que le résultat s'entend dans le jeu plus fluide, plus naturel, aux phrasés plus souples, plus « ronds » — comme une sonorité plus proche du silence. Cela se reflète aussi, je pense, dans le plaisir que le musicien éprouve à jouer. On le sait, la pratique quotidienne d'un instrument raffermit le vouloir et le talent, mais aussi l'amour de la musique, la sensualité sonore. Tout pour dire que je me sens comme une fée sagace qui découvre l'enfance et la vie; peut-être est-ce grâce à Lucie, mon amie récemment disparue, également pianiste mais aussi pédagogue musicale, elle qui m'a d'ailleurs légué son superbe piano droit Pratte, que j'arrive à saisir l'héritage classique de cette béatitude mystérieuse. C'est une première pour moi, car en près de 40 ans de musique, je n'ai jamais privilégié à ce point la pratique de la musique classique à celle de tout autre genre musical. 

Mes souhaits d'anniversaire m'ont rempli de bonheur. Que mes amis qui étaient présents le sachent!  

Un excellent hiver à tous!

vendredi 11 novembre 2016

Au revoir Leonard Cohen

Photo : Ordre national du Québec (Gouvernement du Québec)
Deux nouvelles fracassantes cette semaine auraient fait pleurer (ou rire) mon amie Lucie, décédée la semaine dernière. La première (risible) étant l'arrivée de Trump à la présidentielle, et la deuxième (triste) celle du décès du très grand Leonard Cohen. Comme plusieurs d'entre nous, Lucie était une fan invétérée du grand poète et dandy. 

Je me souviens d'avoir croisé Leonard Cohen dans un café de la ville. C'était en 2005, je prenais mon habituel café au Deux Marie de la rue Saint-Denis, sur le Plateau Mont-Royal. Entre deux gorgées, je tournai la tête vers la sortie, reconnus un individu assez grand de taille vêtu d'un manteau et d'un chapeau gris. Chez cet homme, une aura de douceur blessée - n'est-ce pas l'apanage des vrais poètes? qu'on ne se méprenne, nulle mélancolie ne couvrait son faciès, mais une joie claire et pure. Avant de quitter l'établissement, je pensai : une telle douceur ne peut être comprise que par une femme. 

Je n'ai pas eu le courage de l'aborder. C'est qu'à l'époque, je connaissais trop peu son oeuvre, me sentant peu digne de lui serrer la main.  

Ce soir, une boum à la maison pour l'anniversaire de ma colocataire. Fortes sont les chances qu'on me demande de chanter et jouer Hallelujah. Of course, cher Leonard, pour vous et pour nous tous, j'obtempérerai. 


samedi 5 novembre 2016

Mon amie Lucie Renaud - l'échappée précipitée



Chaque jour, l’apparition d’une solitude inédite. C'est comme ça que je me sens depuis que mon amie est partie. Les amarres ont été largués sans résistance et sans préméditation.

Lucie n’est plus. Ces mots me glacent le dos. Vraisemblablement, une parcelle de ma fondation vient de s’écrouler. Je me rappelle, il n'y a pas si longtemps, ces matins au téléphone où je lui racontais une blague de mon invention. Elle riait de coeur, et puis, soudainement, commençait à discourir de tout, à opiner sur tout, toujours avec une étonnante sagacité. Chaque fois qu’elle décrochait le combiné, à ma question « est-ce que je te dérange? », elle évitait la négative, affirmait plutôt qu’elle terminait un article, cuisinait un plat ou promenait le chien. Tous les jours, comme le ferait une soeur, une mère, elle écoutait attentivement le récit de mon quotidien. D’ailleurs, mes soeurs et ma mère la pleurent autant que moi, sinon plus. Il n’y a qu’une femme pour reconnaitre le travail d’une femme. 

L’artiste ne supporte pas le réel, écrivit Nietszche. La mort d’un proche, c’est le réel. 

Pleurer un être cher amène les larmes d’un autre temps et d’autres souffrances. Comme les vagues de la mer entraînant les précédentes. À cette heure, en plein milieu de l’automne – l’un des plus difficiles que j’aie vécu – l’avenir me torture. Cela fait cinq jours que Lucie n’est plus et mon Dieu que je me sens seul, orphelin de mentor, de soeur et d’amie. Plus vivement que jamais, je reconnais la place qu’elle a de tout temps occupé dans ma vie. Cette place, si grande, si souveraine, me confirme que le départ de ceux qu’on aime est la douleur de l'âme la plus difficile à vaincre. En l'éprouvant, j’en viens à me projeter dans le passé, plus précisément cette période où Lucie faisait son entrée dans ma vie. Bien que nous nous soyons connus en 2001, ce n’est qu’en 2004 que notre amitié devint plus intime, plus invulnérable, comme marquée d’une infinitude, d’un zeste sacré. C’était l’époque où j'étais amoureux d'une journaliste radio-canadienne. À l’emploi d’Archambault (conseiller musique classique au centre d'appel), je profitais des périodes creuses pour écrire de longs courriels à mon amie. Un après-midi, un bon collègue m’apostrophait : « Tu écris beaucoup de courriels, hein? » Il ne savait pas que la plupart de ceux-ci étaient destinés à la même personne. Et tandis que je traversais les torrents d’un amour trop incarné pour ma sensibilité, mon amie comprenait tous les interstices de mon incapacité à m’attacher. Elle me comprenait si bien que, très souvent, j'étais pris de frayeur. Ciel, je ne suis plus seul, pensai-je. Jusqu'à ce que je reconnaisse – non sans joie, non sans peine – que notre amitié survivrait à ma relation amoureuse. 

Désormais, Lucie serait toujours présente, omniprésente même. D'une semaine à l'autre, j’apprenais des tas de choses à son sujet : qu'elle avait appris à lire la musique avant les mots, qu'elle avait pour collègue de classe le pianiste Marc-André Hamelin, qu'elle admirait par dessus tout Mozart et Debussy. Au reste, Lucie vivait secrètement ses fragilités, ses contradictions et ses insécurités. Elle ne m’en parlait pas souvent, sa pudeur l’en empêchait. Cette femme qui courait les événements culturels, qui lisait avec acharnement, qui commentait tout plaisamment, prenait rarement le temps de laisser le calme contemplatif rejoindre les eaux tranquilles. Sensible, fougueuse, elle se plaisait  au  rythme haletant du quotidien. Je ne serai pas le seul à l'affirmer : Lucie ne s’arrêtait jamais. Peut-être savait-elle depuis le commencement que sa vie serait courte?



Au moment d’écrire ces lignes, je me sens égaré, perdu. La tranquillité relative du café m’amène à écrire dans une paix délicate, presque magique. Magique parce que cette paix, je le sais, recèle des victoires, des illuminations et des révélations que je suis impatient de reconnaître. Je le dis sans vergogne, à ce moment précis, je ne sais plus ce que je veux dans la vie. Un avatar s’impose, et j’ignore pour le moment comment le figurer, l’aborder, l’écrire. Tant d’enjeux, d’achoppements, de réaffectations, qu'il est difficile de savoir par où commencer. Pour le moment, écrire est la seule issue possible. 

Or, l’écriture, aussi nécessaire soit-elle, me fait peur — preuve qu'elle est essentielle. J'aime la vérité autant que je la crains, et bien qu'elle m'effraie, jamais elle ne menace.  


La disparition d’un être cher amène les questionnements les plus profonds sur l’amour. Qu’en est-il de l’amour dans la vie? J’aborderai cette question un peu plus tard. Je ferme l'ordinateur, passe maintenant à l’écriture manuscrite.

mardi 1 novembre 2016

Au revoir Lucie Renaud, ma tendre amie

J’écris, j'efface, je réécris, c'est comme ça depuis quelques jours. Les mots viennent au compte-goutte, alors qu'il y a tant de choses à dire. Je ne sais pas par où commencer, quel angle choisir. Aujourd'hui est un jour étrange.

Ma meilleure amie Lucie Renaud est décédée hier, à midi 20. Elle était atteinte d'une forme très agressive de tumeur au cerveau. Aux gens de mon entourage, je lançais sans vergogne : « C'est Lucie qui a fait de moi un homme. » Il n'est pas un hasard que je sois devenu rédacteur et traducteur. Pour y arriver, j'avais besoin du soutien d’une personne. Lucie fut cette personne. Ses dons d’ubiquité lui permettaient d'incarner la collègue, la pédagogue, la soeur d’âme et l'amie. Et tandis qu'elle me fournissait mes premiers contrats de traduction, me soufflant régulièrement « j’en ai trop », je reconnaissais, à voix haute, qu'elle me sauvait littéralement la vie (je sentais enfin un souffle de  liberté, je devenais quelqu'un, je n'avais plus peur d'être heureux). Lucie m'a aussi montré ce que c'est que l'amitié. 

Nous nous connaissions depuis 2001. Nous nous sommes rencontrés à un concert du pianiste Alfred Brendel. Au reste vous la connaissez peut-être: elle était critique pour la Revue de théâtre JEU, rédactrice pour l’OSM (notes de programme) et Analekta (livrets de CD), et traductrice. La cerise sur le sundae : elle était musicienne, enseignait le piano.  

Il y a quelques mois, je lui confiais : « Après ma mère et ma grande soeur, tu es la personne qui m'a le plus aimé. » Elle a corroboré en douceur, reconnaissante que mes propos visent juste. 

Lucie n'en pouvait plus de ne pas pouvoir s'exprimer; ces dernières semaines, elle n'arrivait plus à parler. Ce devait être intenable pour elle qui adorait les phrases, les livres. Elle avait toujours, toujours le mot juste.   


Attablé à un Tim Horton de Sorel-Tracy, j'ai roulé la nuit entière, allant d'égarements en maraudages. Je ne pourrai pas écrire plus longtemps, il me faut reprendre la route. Je serai accompagné de Mozart (j'ai l'intégrale des Sonates pour piano dans l'auto). Lucie adorait Mozart... c’est qu’elle le comprenait parfaitement. Comme elle comprenait tout. 

Allez lire son blogue Clavier bien tempéré. Allez y... http://lucierenaud.blogspot.ca

jeudi 11 août 2016

Ma passion de l'automobile - chez MSN Autos

Vous êtes nombreux à être surpris, lorsque vous l'apprenez, que j'aime les automobiles. Les conduire, les entretenir, les ausculter pendant des heures, tout cela est l'apanage de l'amateur passionné, aux antipodes de l'utilisateur qui cherche à se mobiliser du point A au point B. En réalité, je me passionne d'automobile depuis que j'en conduis. Avant ça, c'était une amusette, une frivolité.  

Chaque mois, je publie des articles sur MSN Autos (sous la bannière Espresso).      Laissez-moi en partager quelques-uns ici... parce qu'il faut bien montrer ce que l'on aime, ce que l'on fait. Partagez à votre tour, si vous aimez! 

Bonne lecture,

mardi 2 août 2016

L'été à Montréal et ailleurs - du piano dans le public

Depuis quelques années, je ne maraude plus dans Montréal de la même manière. Moins éperdu, plus stable, mieux outillé pour affronter la chaleur et les sollicitations festives, je fais de chacune de mes pérégrinations une escapade sensible. Celles-ci ne seraient pas complètes sans la présence des pianos publics. Dans le Mile End, au centre-ville, sur le Plateau et dans les banlieues, les pianos publics ont ceci de salutaire qu'ils offrent aux jeunes l'opportunité de toucher l'instrument dont ils rêvent, aux autres de ne pas mourir d'isolement ou de désillusion. Car la musique est un cadeau.

La semaine dernière, j'étais dans le Vieux Saint-Eustache pour une séance de piano public. Agréable bouche à oreille oblige, le Service de l'urbanisme de la ville m'a contacté pour agrémenter la place publique. Sans alcool ni trompette, j'ai joué des airs de ma composition ainsi qu'un ou deux standards. En contrepoint, une fontaine d'eau giclait sa joie fébrile. Voici un extrait de cet après-midi musical.     

J'oubliais presque, je serai de nouveau dans le Vieux Saint-Eustache, dimanche le 28 août à 14 h, cette fois-ci en arrière de l'église. Venez y faire un tour! 

   

lundi 13 juin 2016

Massacre en litige

Conserverons-nous notre intégrité féroce en ces temps de massacre? Voici ce que je viens d'écrire sur ma page Facebook. 

Je peux difficilement croire que vous avez passé une journée magnifique hier, jour de carnage en nos pays. La mienne fut hypothéquée par la douleur de nos voisins, laquelle devint rapidement la mienne. Et c'est tant mieux, parce que le contraire m'aurait révulsé. Paix à toute la gang de beau monde partout. 


J'ai passablement réfléchi avant de publier cette notice, entre autres parce que je ne suis pas du type à m'exposer sur les réseaux sociaux (comme bien des musiciens, je prêche d'emblée le silence), mais aussi parce que j'étais moralement incapable de le faire, encore trop remué par le massacre d'Orlando. Des gens que j'ai croisés hier, aucun n'a fait mention de la tragédie. Et pourtant, celle-ci s'est belle et bien produite chez nos voisins! Aurait-il fallu que le carnage se produise à Saint-Lambert pour qu'on en parle? Je n'étais pas d'une sale humeur hier, plutôt éprouvé, marqué d'une indolence fragile qui trahissait un désenchantement soudain. Heureusement, il me consolait de savoir que ces désenchantements n'arrivent qu'à ceux qui aiment la vie. Hélas, l'amour, on le sait bien, ne suffit pas. 

Aimer la vie. 

Dans les années 70, quelques années avant sa mort, le pianiste Artur Rubinstein (il nous a quitté en 1982, à l'âge de 95 ans) déclarait en entrevue : « Vous me demandez si à mon âge, j'aime encore la vie. Bien sûr que j'aime la vie! Qu'est-ce que cela veut dire, aimer la vie? Cela veut dire : prendre la vie telle qu'elle est. » Il suffisait de ces quelques mots pour voir ma perception des choses changer. Les grands artistes de ce monde prolifèrent en pensées sidérantes qui parfois se transmettent mieux par le biais d'un autre moyen que leur art, parce qu'il nous manque les oreilles, les yeux, l'intelligence pour les comprendre. 

Au lendemain du massacre, je ne vois plus le mot Orlando de la même manière. Hier, il évoquait pour moi le très beau roman de Virginia Woolf. Aujourd'hui, il symbolise les hostilités puériles d'un monde qui n'a pas fini de vouloir encore plus d'amour, mais qui n'a pas trouvé les mots, la manière et le ton pour le dire. 

Paix. Paix. Et Amour.


mardi 24 mai 2016

Schubert avec Philippe Courchesne Leboeuf et Adam Cicchillitti

Au début de ce mois-ci, j’assistais à l'un des concerts du midi de la série Mélodînes, présentée par Pro Musica. À la salle Claude-Léveillée de la Place des arts, se produisait le duo classique composé de Philippe Courchesne Leboeuf et Adam Cicchillitti. Sans trompette ni cérémonie, dans une atmosphère décontractée qu’on pourrait presque qualifier de familiale, Philippe Courchesne Leboeuf (voix) et Adam Cicchilitti (guitare classique) présentaient pendant un peu plus d’une heure des oeuvres de Schubert, Falla et Garcia Lorca. Avant de commenter la prestation, il me faut parler de l’atmosphère générale du concert. Tout d’abord, le duo est particulièrement généreux dans la présentation, la mise en contexte et le partage de leur passion de la musique. De fait, entre les pièces, on les voit raconter anecdotes et autres minirécits autour des oeuvres interprétées. Une telle approche dans la transmission d’un art ou d’un savoir servirait-elle un objectif spécifique? Possiblement celui de démocratiser la musique classique. Car la musique classique est avant tout un art populaire, « comme l’étaient ces mêmes pièces à  l’époque de leur création », de déclarer le chanteur. La corrélation entre musique populaire et classique joliment démontrée, les deux artistes vulgarisent avec talent, tandis que le public – toujours attentif – suit leurs traces, séduit à la fois par la musique et par le « bouillon de culture » humblement proposé. 

Un autre aspect probant du concert est la présence délicate de l’humour. Aussitôt les pieds sur les planches, les deux artistes vont  de blagues en plaisanteries, si bien que j’imaginais très bien ce spectacle faire partie d’une soirée humoristique – pourquoi pas le Festival Juste pour rire? Qu’on ne se méprenne, le concert se veut avant tout musical, néanmoins les boutades, les clowneries et la dérision sont si bien alignées qu'il m'était impossible de ne pas rire — à plusieurs reprises! 

Au reste, on apprendra que Schubert était un adepte de la guitare – il en possédait plusieurs, parait-il. Les arrangements pour guitare des pièces présentées sont signés Adam Cicchillitti.


Les concerts d’après-midi, comparativement aux concerts du soir, solliciteraient-ils des aspects différents de notre sensibilité? La série des Mélodînes donne en quelque sorte l'opportunité de répondre à cette question. À vous de voir... 

mardi 12 avril 2016

Naissances

Eliott Nicolas au jour de sa naissance
Le temps file et comme vous j'en suis sûr, j'ai très hâte que s'installe le « vrai » printemps; celui qui nous fera ranger pendant quelques semaines, quelques mois, nos imperméables, foulards et autres frusques d'hiver. Ne croyez que je me plaigne de notre météo, au contraire, je suis reconnaissant que celle-ci se fasse aussi changeante et imprévisible, que l'on soit en quelque sorte ses cobailles — avouons qu'il n'y a pas maître plus auguste et pacifique que Mère Nature! 

À une semaine d'intervalle, deux naissances ont contribué à la revitalisation globale de notre famille. Mes neveux Christopher et Rafael sont devenus papas! Christopher et son amoureuse Lily cohabitent maintenant avec le petit Eliott (voir la photo), petit garçon né le 29 mars dernier. Puis Rafael et son amoureuse Catherine partagent depuis quelques jours leur nid avec Noah, gentille petite fée (une photo s'en vient très vite). Bonheur! bonheur!, moi qui suis désormais deux fois grand-oncle!  


mardi 23 février 2016

Contrepoint d'Anne Enquist

Mon dentiste, qui est un féru de musique et de littérature, m'a incité cette semaine à publier un article écrit il y a quelques années sur le très beau roman Contrepoint de l'écrivaine néerlandaise Anna Enquist. 


En musique, le contrepoint désigne le développement d'une mélodie parallèlement à une autre. Contrepoint, ma première incursion dans l'univers d'Enquist, traite du lien ténu entre une mère et sa fille et, en contrepoint, de la musique de Jean-Sebastien Bach. En premier lieu, la mère, une pianiste que l'auteure appelle la « femme », travaille avec application les Variations Goldberg de Bach. Ceux qui les connaissent comprennent qu'elles aient pu inspirer l'écrivaine : la perfection formelle de ces pages de musique suscite une fascination qui n'a de cesse d'inspirer la littérature (on se souviendra de Nancy Huston et son roman Les Variations Goldberg, entres autres). L'Aria suivi de trente variations découpent ce roman à la construction soignée; en exergue à chacun des chapitres les premières mesures de la variation correspondante; ainsi, j'écoutais, avant chacun d'eux (et non pendant!), une variation de Bach; ici, Glenn Gould et son célèbre enregistrement de 1981 étaient mes alliés, choix inéluctable et néanmoins déchirant, car l'oeuvre est très bien servie par le disque (parmi les meilleures interprétations nommons, au piano : Murray Perahia, Rosalyn Tureck, Glenn Gould, Evgeny Koroliov; et au clavecin : Pierre Hantai, Ralph Kirkpatrick, Gustav Leonhardt...) L'expérience parallèle me saisissait et me permettait  en quelque sorte la redécouverte du chef-d'oeuvre du Cantor. Jamais mon iPod ne fut aussi sollicité pendant la lecture d'un roman!

Il est délicieux de voir que pour chaque chapitre/variation, l'auteur tisse les circonstances, fictives et fort pertinentes voire probables, de la composition des variations de Bach :  analyses oniriques et musicales à même une perspective herméneutique et personnelle de cette musique. Anna Enquist discoure aussi bien de musique qu'elle fixe tout en justesse les évocations du passé fragile des principaux protagonistes du roman, passé dans lequel la peur et le doute figurent au premier plan. Le lecteur qui possède une bonne connaissance de la musique classique verra son plaisir décuplé. Pour celui qui ne la connaît pas, mais qui aurait envie de l'approfondir, Contrepoint — qu'on aura tort d'associer trop directement et unilatéralement au chef-d'oeuvre de Bach — est une chance à saisir. 

jeudi 18 février 2016

Relire Proust

Ces trois dernières semaines, nouvelle prise de contact avec Proust, avec À l’ombre des jeunes filles en fleurs. C’est un assez gros livre, vous le savez, et comme j’ai fait voeu de lire cette année plus de livres que l’année dernière, après seulement quelques pages je considérais l'abandon, en ce que le temps que je lui consacrerais profiterait davantage à des livres que je n'ai pas encore lus. De grâce, le génie de Proust époustoufle encore. De quel chic irrésistible, de quel courage métaphysicien l'écrivain français nous assomme-t-il en des phrases toutes plus diaboliquement musicales les unes que les autres. Il y a une semaine environ, aux prises avec une petite crise de l'existence, j'espérais de la vie rien de moins qu'une mer abondante de lectures prêtes à me faire renaître. De grâce, après seulement une dizaine de pages, je retrouvais quelques repères essentiels. Je n'étais plus le loup perdu dans la forêt, mais un individu plus vertical, en pleine possession de ses moyens. Ces retrouvailles avec le moi me permettaient une prise de contact directe avec cette autre partie de moi qui, il y a une quinzaine d'années, faisait ses premiers pas dans La Recherche

Retour de réalités perdues dans le passé, où les maraudages anciens clamaient une déperdition certaine, le retour du massif proustien réitère l'évolution du lecteur que je suis. Plus aguerri, plus mûr, plus patient, il me semble que je réponde toujours vivement, gravement à la sensibilité  — souvent démesurée et par moments miraculeuse — dudit texte.   

Il est des romans qui, à l'instar d'un poème, prennent toute une vie à lire. À la Recherche du temps perdu est un de ceux-là


samedi 6 février 2016

Il faut croire que je n'en suis pas encore revenu


C’est horrible cette paresse qui vous prend au corps, à l’âme – cette paresse qui fait peur parce qu’elle est peur. (Je paraphrase ici Charles Dantzig : Qu'est-ce que la paresse, sinon la peur de vivre.) Lorsqu'il n’y plus d’espace entre ce qui entre dans l’âme et ce qui en sort; et les deux, ce qui rentre et ce qui sort, sauvent des vies autant qu’elles n'en prennent. 



Avant-hier, moments magnifiques avec David Bowie. De superbes heures de musique, tandis que je réalisais que le chanteur est avant tout — et surtout — acteur. Ensuite musicien et auteur. Novateur, précurseur, iconoclaste, il a réinventé, éprouvé et lu amplement, exhaustivement son époque, incarnant une espèce de néo-humain que nous admirons tous, quelque part. Je dois l'avouer, Bowie est une véritable inspiration pour moi, et ce même si, sa musique ne fut jamais parmi mes préférées. Au reste, ce n'est pas la première fois qu'un artiste me séduit avant son oeuvre. La même chose s'était produite avec Chopin... ceux qui veulent en savoir plus, c'est ici


samedi 16 janvier 2016

Prophétique David Bowie




Encore affecté par la nouvelle de son décès. Et me traverse le doux regret de ne m'être pas intéressé plus tôt à sa musique. En revanche, je sens qu'elle restera, là, en offrande pour rattraper le temps. 

La mort de David Bowie m'amène à voir d'un autre oeil ce que c'est que le génie. Comme pour le père qui, mort, devient plus présent que lorsqu'il  était vivant (dixit Freud), le génie commande son influence la plus probante après la mort de l'artiste. Ce qui me rappelle le récit de ces deux créateurs  : Schubert et Bizet. Mort à 31 ans, Schubert, qui vécut toute sa vie dans l'ombre de Beethoven, composa une oeuvre abondante (plus de mille compositions) qui, de son vivant, n'était connue que d'une poignée d'amateurs et d'amis. Il attendra 1827, l'année de la mort de Beethoven, pour achever sa Neuvième Symphonie ainsi que d'autres immenses chefs-d'oeuvres. L'année suivante, en 1828, Schubert mourait. Les deux, Beethoven et Schubert, sont enterrés l'un à côté de l'autre. Quant à Georges Bizet, il ne fut consacré qu'au lendemain de sa mort, à 36 ans. Celle-ci fut probablement accélérée, voire provoquée par les critiques dévastatrices de son opéra Carmen. À ses obsèques, on organisa une représentation de dernière minute, où acteurs et chanteurs, fort éprouvés, livraient une performance dont l'émotion était presque insoutenable. Quelques jours plus tard, la presse saluait le génie de Bizet, mort probablement de n'avoir pas été compris. 

D'ici les prochaines décennies se définira la véritable ascendance artistique et intellectuelle de David Bowie. Pour l'heure, l'entrevue que je partage ici — captée en 1999 — recèle chez le musicien des facultés prothétiques exceptionnelles. Il nous confirme d'autre part que l'intelligence, la vraie, est une chose sexy.